Recherche en danger = Nation en péril
Mise à jour du 20 juin 2014 : Pétition de soutien à l’emploi de la recherche, après avoir lu le texte ci-dessous, vous comprendrez que c’est également dans votre intérêt et dans celui de tous les citoyens de la signer.
Actuellement doctorants au Laboratoire d’Etudes Spatiales et d’Instrumentation en Astrophysique (LESIA), laboratoire de l’Observatoire de Paris, le texte ci-dessous n’engage que nous et ne reflète que nos opinions. Nous tenons à préciser que nous ne sommes membres d’aucune organisation syndicale.
En ce 11 juin 2014 a eu lieu à Paris une réunion extraordinaire du Comité National de la Recherche Scientifique (CoNRS). Ce sont 550 représentants de tous les acteurs de la recherche publique française qui se sont réunis. De quoi ont-ils débattu ? Ont-ils réclamé des augmentations de salaire ? Des primes ? Une diminution du temps de travail ? Non, il a été question de "La crise de l’emploi scientifique", c’est-à-dire de l’emploi des jeunes. Les chercheurs actuellement en poste ont provoqué une réunion de crise face à la diminution dramatique des postes de chercheurs ouverts au concours : c’était donc une démarche désintéressée puisqu’il n’était pas question de leurs propres emplois.
Depuis la création de ce Comité il y a 70 ans par Joliot Curie suite à la Seconde Guerre Mondiale, c’était seulement la 5ème fois qu’une telle réunion plénière avait lieu.
Le contexte
Le 19 mars 2014, le Conseil Scientifique (CS) du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) a produit un document commenté par Sylvestre Huet sur le blog Sciences². Entre 2010 et 2014, le CNRS est passé de 400 à 300 recrutements de chercheurs tous domaines confondus (biologie, chimie, environnement et écologie, sciences humaines et sociales, sciences de l’information, ingénierie et systèmes, mathématiques, physique, physique nucléaire et des hautes énergies, sciences de la planète et de l’Univers). Entre 2007 et 2012 ce sont ainsi 653 postes de chercheurs, ingénieurs et techniciens qui ont été perdus au CNRS. Le message pour la jeunesse est clair : fuyez la recherche, il n’y a aucun débouché ! Ainsi avec la diminution des départs en retraite et le non-remplacement des départs pour d’autres causes, les projections donnent 0 recrutements pour les Sciences de l’Univers au CNRS en 2016 !
- Evolution des recrutements au CNRS
La recherche va mal et alors ?
Depuis la seconde moitié des années 2000, nous sommes en crise. D’ailleurs, la majeure partie d’entre nous, citoyens français, a sans doute passé plus de temps dans une société en crise que dans une société en croissance. Ainsi, on peut justifier des destructions d’emploi dans tous les domaines et c’est ce qui se fait : les usines et les entreprises ferment. Pourtant comme les actualités ne cessent de le montrer, actionnaires et PDG ne cessent de s’enrichir, s’accordant des parachutes dorés en cas de remplacement pour mauvaise gestion. Paradoxe.
Tout le monde souffre, il faut donc que la recherche souffre. Pourquoi son sort mérite-t-il votre attention ? La mode est aux comparaisons avec l’Allemagne : depuis 1997 le budget Recherche & Développement français est passé de 2,2 à 2,3% du PIB, dans le même temps pour l’Allemagne il est passé de 2,3 à 3% du PIB. Certains pensent que c’est une conséquence de la croissance économique : "La recherche est une danseuse qu’on ne peut se permettre qu’en période de croissance" avons-nous pu lire dans un commentaire d’un lecteur de Libération. Quelle méconnaissance du sujet !
- Place de la France dans les classements mondiaux pour l’investissement dans la recherche
La recherche est facteur de croissance et non une de ses conséquences. L’innovation, le développement de nouvelles technologies, de nouveaux concepts sont créateurs d’emplois et sources de richesse. Bien sûr, tout le monde pense à la "recherche appliquée" qu’on oppose à la "recherche fondamentale" qui est faite pour le plaisir par quelques marginaux. Pourtant, ces deux volets sont complémentaires et indissociables.
Du côté des Sciences de l’Univers
Puisque c’est notre domaine, nous allons l’utiliser comme exemple et voir si la recherche en astronomie/astrophysique est inutile.
- Au XIXème siècle, Faraday et Maxwell découvraient que la lumière est une onde électromagnétique. Faraday lui-même avait mené de nombreuses expériences en électricité et magnétisme. Ses démonstrations étaient des divertissements, de vrais spectacles pour ses contemporains. Personne sauf Faraday et Maxwell n’imaginaient que les phénomènes qu’ils découvraient seraient utiles voire indispensables un jour. Et pourtant aujourd’hui, nos télécommandes, nos téléphones portables, nos radios, notre WiFi, notre télévision,... bref, toutes les technologies sans fil qui font notre quotidien dépendent de ces découvertes réellement fondamentales qui paraissaient sur le moment inutiles.
- Au début du XXème siècle, Einstein mettait au point sa théorie de la relativité générale. Peu de personnes la saisissaient et à vrai dire, peu de personnes la comprennent pleinement aujourd’hui encore. Elle décrit la gravitation à proximité d’objets massifs tels que les trous noirs, les étoiles à neutrons ou vraiment très près d’étoiles peu massives comme le Soleil. Elle décrit aussi des phénomènes qui se produisent lorsqu’un corps approche de la vitesse de la lumière. Pourtant, sans la relativité générale, la géolocalisation par le système GPS serait impossible : sans une modélisation de la gravité terrestre issue de la relativité générale, les signaux reçus par les satellites GPS seraient mal interprétés et les positions erronées de plusieurs milliers de kilomètres !
- A la fin du XXème siècle et au début du XXIème, les astronomes ont développé le système d’optique adaptative, il permet de compenser les défauts que l’atmosphère terrestre cause sur la lumière en provenance des étoiles, galaxies et nébuleuses et qui dégrade la résolution des télescopes optiques au sol. Cette technologie dont on aurait pu imaginer qu’elle était un jouet hors de prix pour les astronomes et inutile pour les citoyens est en train d’être transférée vers le domaine biomédical pour faire de l’imagerie à haute résolution de la rétine et diagnostiquer des maladies de l’oeil. Pour en savoir plus sur l’optique adaptative voir la revue de l’instrument NACO sur le site de l’Université Joseph Fourrier et pour le projet Oeil voir le site du LESIA.
- A gauche : l’instrument d’optique adaptative NACO au VLT. A droite, banc d’essai du projet oeil au Centre Hospitalier National d’Ophtalmologie des Quinze-Vingts.
Et nous pourrions citer d’autres exemples dans notre domaine et dans tous les autres domaines des sciences mais le but n’est pas de vous assommer. Qui peut prévoir ce que la recherche fondamentale d’aujourd’hui nous apportera demain ? Ayons un peu le sens de l’histoire et ne soyons pas comme nos prédécesseurs qui étaient tous convaincus que financer des expériences sur l’électricité était une pure perte de temps. Les innovations à venir nous sont complètement cachées mais elles reposeront sur la recherche fondamentale faite aujourd’hui.
Au sujet de la rentabilité
Réduire la recherche, c’est déconstruire l’avenir mais aussi s’attaquer au présent. Ainsi lorsque des sondes ou des télescopes sont financés pour plusieurs millions d’euros, cet argent ne disparaît pas : il sert à employer des chercheurs mais aussi à payer des entreprises qui vont participer au projet avec leurs salariés. Au Chili il a ainsi fallu construire des routes en plein désert, des coupoles pour les télescopes, des structures mobiles, des miroirs qui ont été fondus en Allemagne et polis en France. Des composants électroniques de haute précision sont dessinés par des laboratoires et fabriqués par des entreprises spécialisées. Encore une fois il ne s’agit que d’un seul exemple : celui de l’observatoire des VLT.
Ne nous laissons pas aveugler par la quête de rentabilité lancée depuis les années 2000 : employer un être humain n’est pas rentable par rapport à une machine. Réduire sans cesse les dépenses en supprimant des emplois à la volée n’a pas de sens à moins de vouloir mettre l’ensemble de la population au chômage pour qu’une faible fraction des citoyens, dirigeants des entreprises, puisse s’enrichir. A moins de n’avoir que des machines employées et des humains actionnaires cette tendance n’a pas de sens. Peut-être est-il temps d’innover et de rechercher un autre modèle ?
Les résolutions du CoNRS
Le CoNRS a adopté ce 11 juin un texte visant à mobiliser les acteurs de la recherche publique française. Il est disponible sur Sciences². Sa mesure phare est la mise en place d’un plan d’emploi pluriannuel pour la recherche. Il ne s’agit pas de dépenser encore de l’argent : imaginez qu’avec 1% du Crédit Impôt Recherche il serait possible de financer 1000 emplois pérennes dans la recherche alors que pour l’instant c’est avant tout une niche fiscale pour les grands groupes (comme Sanofi qui en bénéficie à hauteur de 150 000 000 € sans recruter de chercheur en 2013 mais en reversant 3 700 000 000 € à ses actionnaires) ! Ce texte est aussi destiné à vous citoyen qui lisez ces lignes. Si vous êtes concerné par l’avenir de votre pays, interpellez vos représentants politiques, venez aux journées portes-ouvertes dans les laboratoires, discutez avec les chercheurs, soutenez nos actions !
Oserez-vous ?
Pour conclure, posez-vous cette question : si effectivement nous pouvons nous passer de la recherche, êtes-vous prêt à relever le défi de renoncer pour 24h à ce qu’elle a pu nous apporter ?
Liens
- Pétition de soutien à l’emploi dans la recherche
- Appel du CoNRS sur l’emploi scientifique par Sylvestre Huet sur le blog Sciences² de Libération
- Tribune d’Alain Prochiantz professeur au Collège de France, membre de l’Institut, La recherche ne doit pas décocher, dans Libération
- Le CS du CNRS lance la bataille de l’emploi par Sylvestre Huet sur le blog Sciences² de Libération
- Emploi scientifique : le CONRS réuni le 11 juin par Sylvestre Huet sur le blog Sciences² de Libération
- Article Les chercheurs inquiets pour l’emploi scientifique sur le site du Figaro.
Note des auteurs : les images de l’article sont extraites d’un rapport du CS du CNRS.
Acronymes et abbréviations
- CS : Conseil Scientifique
- CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique
- CoNRS : Comité National de la Recherche Scientifique
- GPS : Global Positioning System, système de géolocalisation par satellites
- LESIA : Laboratoire d’Etudes Spatiales et d’Instrumentation en Astrophysique (un des 5 laboratoires de l’Observatoire de Paris)
- NACO : NAOS-CONICA, instrument d’optique adaptative installé au VLT et permettant de corrigé les défauts causés par l’atmosphère et dégradant la résolution des télescopes (leurs capacité à voir des détails sur les objets visés)
- PDG : président-directeur-général
- PIB : Produit Intérieur Brut
- VLT : Very Large Telescope, Observatoire européen au Chili au Mont Paranal comprenant 4 télescopes fixes de 8.2 de diamètre et 4 télescopes mobiles de 1.8m de diamètre opérés par l’ESO